Les routines font partie des critères de diagnostic du TSA — de l’autisme. Il s’agit de séquences d’actions, de gestes ou de comportements répétitifs. Derrière ce critère médical un peu terne se cache une réalité quotidienne pour beaucoup de personnes autistes qui en font l’expérience de manière beaucoup plus vivante. Chaque geste répété est en fait une boussole pour la personne autiste qui aiguille sa journée. Les routines lui apportent structure et organisation.
📋 TL;DR : En bref
- Routines (critère B TSA) : gestes et séquences répétitives du quotidien (ex. se brosser les dents), fonctionnels.
- Pourquoi elles sont utiles : elles stabilisent, apaisent, organisent, économisent de l’énergie et favorisent la régulation sensorielle.
- Rigidité possible : interruption ou changement peut provoquer anxiété ou crises autistiques.
- Différence avec les rituels : routines = pratiques, rituels = gestes apaisants mais symboliques.
Les routines relèvent du critère B du diagnostic définis par le DSM-5 (le manuel de diagnostic des troubles mentaux), mais ne sont pas indispensables à lui seul. Le critère B inclut : les routines et les rituels, les intérêts spécifiques, les stéréotypies et les hypo et hypersensibilités sensorielles. Deux de ces signes doivent être présents pour un diagnostic même si souvent, l’entièreté du critère B l’est.
Les routines constituent un rôle central dans la régulation sensorielle, émotionnelle et cognitive des personnes autistes (INSERM, Comprendre l’autisme). Elles les mettent en place parfois automatiquement, parfois volontairement, pour structurer leur quotidien. Elles ont plusieurs rôles :
- prédictibilité et sécurité : elles réduisent l’imprévu, l’anxiété et ajoutent un sentiment de contrôle
- organisation et économie d’énergie : moins de fatigue grâce à des gestes stables
- régulation sensorielle quand elles incluent une stimulation sensorielle (stim)
Elles sont souvent rigides, c’est-à-dire qu’elles suscitent parfois anxiété, colère ou même crises autistiques, si elles sont interrompues ou empêchées. La National Autistic Society y consacre un article sur leur rôle apaisant. La NHS évoque aussi cette difficulté chez les adultes autistes avec le changement, adhésion aux routines et inconfort lorsqu’elles sont mises en difficulté. Mais elles procurent habituellement du plaisir pour la personne concernée, une certaine sécurité ou du confort. Elles lui sont souvent positives. Elles suivent une logique interne cohérente pour la personne autiste.
Je mentionnais les rituels donc il convient de les distinguer des routines. Je les distingue plus en détail dans mon article sur les rituels. Les routines sont des séquences pratiques et fonctionnelles du quotidien (ex. se brosser les dents, toujours de la même manière). Les rituels, eux, sont plus symboliques, comme des gestes répétitifs destinés à apaiser l’anxiété sans but fonctionnel direct (ex. toujours ranger ses stylos dans un certain ordre avant d’écrire).
Mes routines
J’ai trois routines principales. Celle du matin, celle du dimanche, et celle du soir. Celle du matin est la plus complexe et celle qui m’angoissera le plus si on m’empêche de la compléter. C’est arrivé il y a quelques jours pour la première fois en plusieurs années.
Ma routine matinale
Ma routine du matin est la plus complexe :
- Étape 1 : Je me lève
- Étape 2 : J’arrange ma couverture correctement sur le lit
- Étape 3 : Je me sers un café, une capsule Nespresso ou L’OR, de forte intensité. Le café, c’est l’essentiel de cette routine matinale. Il tient un rôle de stimulation (il me réveille) et de régulation sensorielle (le goût d’une bonne capsule de café). On me dira que les allistes (non autistes, voire Glossaire) ont eux aussi besoin de ce café mais il ne provoque sans doute pas autant de stress s’ils doivent s’en passer exceptionnellement — pour la plupart.
- Étape 4 : Douche
- Étape 4a : Je dépose mes vêtements sur un meuble avec dans l’ordre boxer, chaussettes, t-shirt
- Étape 4b : Je me pèse (par simple plaisir de voir les informations s’afficher sur la balance). SI batterie à plat (c’est arrivé deux fois) -> je poursuis ma routine -> la mets en charge -> me pèse dès que je peux l’allumer.
- Étape 4c : Je me douche
- Étape 4d : Je m’habille
- Étape 4e : Je me brosse les dents avec ma brosse électrique (je brosse haut-gauche, bas-gauche, bas-droite puis haut-droite dans l’ordre) 2 minutes. SI batterie à plat -> je regarde ma montre et attends une minute exacte pour chronométrer 2 minutes.
- Étape 4f : J’applique de la crème hydratante sur le visage
- Étape 4g : J’applique une autre crème sur les mains
- Étape 5 : Je m’en vais boire un deuxième café (essentiel)
Pour m’assurer d’avoir le temps pour cette routine, je me lève souvent très tôt. Il faut composer avec une routine qui dure environ 30 minutes. D’autant plus si je dois me rendre quelque part. Je déteste tant arriver en retard que j’arrive souvent avec entre 20 et 40 minutes d’avance à mes rendez-vous. Les rares fois où je manque de temps, je suis alors en conflit entre : terminer ma routine et ne pas arriver en retard. C’est la routine qui primera si je juge le retard acceptable.

Ma routine du soir
À l’exception d’une sortie d’épisode maniaque ou dépressif, j’ai une routine simple le soir :
- Étape 1 : Vers 22h, je me fais une tisane aromatisée à la pêche ou aux fruits rouges
- Étape 2 : Je me brosse les dents même si je mange quelque chose après
Cette routine, c’est la seule dont je peux me passer sans en être trop perturbé, si je dors à l’extérieur par exemple ou que je suis en soirée festive. Il est probable que je m’endorme moins confortablement.

Ma routine du dimanche
Elle se décline de la sorte :
- Étape 1 : Je descends les poubelles (et vide dans l’ordre alimentaire, recyclable puis le verre)
- Étape 2 : Lessives
- Semaine paire : J’ai 15 t-shirts (un pour le dimanche, puis un pour chaque jour des deux semaines à venir) de sorte qu’un dimanche sur deux, je procède à mes lessives.
- Étape 2a : À commencer par les vêtements à 40°C, que j’étends juste après
- Étape 2b : Lessive du linge de bain à 60°C (mes 2 serviettes — une pour chaque semaine — et mes 14 gants — un pour chaque jour, depuis que j’ai appliqué à la lettre un article sur l’importance de ne jamais utiliser le même gant de toilette)
- Semaine impaire : J’ai 6 t-shirts et 6 boxers de course, c’est donc leur lessive. Les séparer de mes vêtements me permet d’en faciliter le tri et les étendre séparément (mon étendoir étant petit)
- Semaine paire : J’ai 15 t-shirts (un pour le dimanche, puis un pour chaque jour des deux semaines à venir) de sorte qu’un dimanche sur deux, je procède à mes lessives.
- Étape 3 : Je me rase
- Étape 4 : Le soir, après avoir pris mes traitements à 21h, je remplis mon pilulier selon un rituel :
- Étape 4a : J’ouvre mon tiroir à médicaments
- Étape 4b : J’ouvre du dimanche au lundi les compartiments du soir du pilulier
- Étape 4c : Je dispose médicament par médicament, jour par jour, dans chaque compartiment
- Étape 4d : Je procède de même pour les compartiments du matin
- Étape 4e : Je jette dans ma poubelle à recyclage les tablettes (et boîtes) vides
- Étape 4f : Je mets mon pilulier dans mon sac pour l’avoir toujours sur moi.
Si je sais que mon dimanche sera bloqué par une situation, je prévois les lessives à l’avance. Si je manque de pouvoir le faire ou de plier mes t-shirts, je serai probablement mal à l’aise jusqu’à ce que ce soit fait.

Mes micro-routines
Et une liste de routines que je suis dans ma vie :
- je suis les mêmes chemins constamment pour me rendre quelque part
- je me lave les cheveux tous les lundis et vendredis pour ne pas oublier de le faire
- je me sers un café lors d’un appel ou me sers une boisson si c’est le soir
- je journalise presque tout ce que je fais, et le fais souvent analyser par GPT (par amusement de savoir comment il comprend mes comportements et mes problèmes). Le week-end dernier, je suis allé jusqu’à journaliser certaines de mes blagues pour tester GPT et voir ce qu’il en pensait, donc je souris en écrivant cela.
- je prépare toujours une phrase d’accroche quand j’arrive quelque part (routine sociale) pour ajouter un peu de prévisibilité à l’interaction que je peux imaginer
- je commande toujours la même chose dans les cafés, bars ou restaurants dans lesquels je vais
Petite parenthèse cependant : certaines de mes micro-routines, notamment celle de se servir une boisson lors d’un appel, peuvent m’être nocives si répétées aveuglément (trop d’appels dans la journée). Même si elle est banale et apaisante, se servir un café ou une boisson sucrée systématiquement peut avoir des contre-effets indésirables, et je suis obligé d’y faire attention. Notamment car le café interagit directement avec l’un de mes traitements en accentuant les tremblements de mes mains.
Quand la bipolarité bouscule mes routines
Mon trouble bipolaire type I interagit avec mes routines différemment en fonction de mes épisodes, et c’est une des raisons qui ont occulté mon autisme si longtemps, étant en instabilité quasi constante pendant près de huit ans.
L’épisode hypomaniaque
Lorsqu’un épisode hypomaniaque commence, mes routines deviennent omniprésentes. Je m’y adonne de manière beaucoup plus intense au point que je puisse paraître « plus autiste ». Lors du dernier, en avril, je me suis mis à écrire dans mon journal intime l’équivalent de dizaines de pages Word en une semaine. C’est comme si mon adhésion à mes routines avait explosé. En clair, toutes mes routines se verrouillent, tout se fait au millimètre. Je deviens plus productif et plus « moi-même ». C’est en fait trompeur car c’est mon premier signe d’instabilité. Et c’est pourquoi même ma psychiatre n’a pas su identifier l’épisode. Et très vite, l’épisode s’est transformé en épisode maniaque.
L’épisode maniaque
Dans un épisode maniaque, toutes mes routines sautent. Je me prépare et me lave dans un ordre précis, je bois parfois plusieurs cafés avant de prendre ma douche, je laisse les tapis de bain sur le sol. C’est ma définition du chaos, qui définit très bien un épisode maniaque. Sauf que le temps de s’en rendre compte, il est déjà trop tard. Je parlerai plus de la perte de l’insight dans un futur article mais en quelques mots, il s’agit de perdre la capacité à réaliser son propre état mental. Dans le trouble bipolaire, il s’agit donc de refuser l’idée d’être malade. Non pas par déni, mais par réelle incapacité de le faire.
Et l’épisode dépressif
Celui-ci s’explique rapidement : l’épisode dépressif me terrasse souvent rapidement, me faisant perdre la capacité à prendre du plaisir et à vouloir agir. En découle la perte de l’envie et l’énergie de m’adonner à mes routines. Tout devient trop fade et les routines ne remplissent même plus leur rôle premier : m’apaiser. Je suis de toute manière souvent trop cloué au lit pour fonctionner, et donc pour les suivre. J’arrive parfois à procéder à ma routine matinale mais le brossage des dents du soir passe systématiquement aux oubliettes.
Et vous, quelles sont vos petites routines quotidiennes ? Les percevez-vous comme des contraintes ou des repères ?

