Illustration retravaillée d'une photo d'un conducteur de Tuk-Tuk dans son rétroviseur

Voilà une semaine que je suis arrivé au Cambodge, comme je vous l’avais annoncé dans mon premier article, la veille du départ. Il s’agit en fait de mon retour au pays, dans lequel j’avais déjà effectué un stage humanitaire de fin d’études et vécu parmi les Cambodgiens, immergé dans leur culture et leur mode de vie. Cette fois, je suis arrivé avec un petit groupe d’amis. Pour les premiers jours, on a choisi le mode repos et découverte de la capitale. 4 jours à Phnom Penh, et une excursion à Skuon, à 1h de scooter, la ville des mygales. Parfait pour ce mois d’octobre (Halloween) et provoquer des hauts le cœur chez les plus frileux. Ces interludes, ils me servent de respiration dans mon blog et de partage d’une expérience plus sensorielle qu’elle n’y paraît.

Une fois sur place, tout devient concret : les bruits, la chaleur, la fatigue. Arrivés dans la capitale, il faut s’organiser : récupérer les valises, acheter des cartes eSIM et des forfaits téléphoniques, moins chers que les offres des opérateurs français, et louer un van pour nos péripéties. Surtout, nous rendre à l’hôtel après près de 24 heures de voyage dont 15 heures de vol. Moi qui fatigue vite, le trajet m’a épuisé. D’autant plus que je n’ai quasiment pas dormi de tout ce temps.

À cela s’ajoutent trois difficultés liées à ma bipolarité avec lesquelles je dois composer : le décalage horaire, le changement des horaires de prise des traitements, et le médicament contre le paludisme. Tous peuvent provoquer une instabilité de l’humeur, notamment le médicament anti-paludisme qu’on soupçonne avoir été à l’origine de ma dépression lors de mon dernier voyage au Cambodge. Concernant le décalage horaire, j’ai pris soin de décaler mes prises de quelques heures à mesure que le voyage avance jusqu’à les replacer aux bons horaires deux jours plus tard.

Voici donc les premiers jours d’un retour mouvementé dans ce pays que j’aime tant.

Jour 1

Malgré l’épuisement, on est arrivés à l’hôtel pour déposer nos valises et nos sacs et contre toute attente, ce n’est pas l’odeur de la ville qui m’a troublé cette fois. C’est l’encens omniprésent dans tout le hall de l’hôtel dans lequel on a dû patienter car il y a eu un coup de fil avec notre réservation.

J’ai essayé de convaincre certains du groupe de se diriger vers le marché pour s’acheter des chips locales (j’entends par là : des criquets grillés). Finalement, on s’est dirigés vers un petit restaurant pour prendre un repas à… 3 dollars. Là-bas, c’est l’équivalent d’un plat à 15 euros. 5 fois moins cher. Pour mon porte-monnaie qui a pris un coup cette année avec mes épisodes maniaques, c’est le bonheur. De tout mon premier voyage, je n’ai consommé quasiment que trois des plats typiques, y étant habitué et sûr du résultat. Cette fois, je me suis promis d’essayer de nouvelles choses et de sortir un peu de ma zone de confort. Je l’ai dit : c’est une épopée sensorielle dont je ne veux rien louper.

Photo d'une rue de Phnom Penh avec des Tuk-Tuk et des scooters

Sur le chemin, le bonheur de retrouver les routes chaotiques où la seule règle en vigueur est l’absence de règles… sauf pour les touristes que les policiers se font un malin plaisir d’arrêter pour des raisons absurdes. À Paris, le chaos routier ne suit aucune règle. Au Cambodge, malgré des voitures qu’on peut voir rouler en sens interdit, il semble y avoir de l’ordre que seuls les Cambodgiens comprennent. Le brouhaha en devient quasi mélodieux. Mais il berce une réalité assez terrifiante : le nombre d’accidents y est beaucoup plus important. On n’a pas inventé la ceinture de sécurité pour rien. Et mieux vaut éviter de poser un pied sur la route sans prudence… tu risques de te faire écraser très fort. La route est un endroit chargé sensoriellement entre les rayons du soleil et le bruit des scooters et Tuk-Tuk qui défilent très rapidement. Pas de repos pour moi, j’ai dû attendre la fin de la journée pour enfin respirer et dormir au calme dans une chambre simple.

Jour 2

Le lendemain, c’est visites de la ville et prises de photos (l’un de mes passe-temps favoris lorsque je voyage). Dans le Palais Royal près de Riverside (la côté ouest du Tonle Sap, la rivière traversant la ville), puis à l’île de la Soie spécialisée dans la conception de vêtements en soie, qui coûtent une petite fortune pour le peuple khmer. J’y ai acheté un merveilleux pantalon de soie, pour survivre à la chaleur, d’une douceur inégalable. C’était aussi l’occasion de le voir produit à la main. J’étais fasciné par le mécanisme pour produire le fil de soie.

Photo du haut du mécanisme de production du fil de soie
Photo du bas du mécanisme avec les vers

Et finalement, ce même jour, pour des expériences culinaires, je me suis en fait retrouvé dans un restaurant très recommandé et aux plats succulents, dont l’un… que j’avais déjà eu l’occasion d’essayer dans ce même restaurant 8 ans plus tôt. J’avais oublié mais la dégustation m’a peu à peu mis à la puce à l’oreille.

Jour 3

Juste avant de sortir de la ville, c’est au troisième jour que j’ai atteint ma limite de tolérance aux stimuli sensoriels. Repas dans un restaurant franco-cambodgien, puis balade au Russian Market. Il s’agit là d’un marché où l’on peut trouver fruits, vêtements, chaussures (comme des Agidas) à côté de l’étalage clous, tuyauterie, bijoux ou street food (brochettes, soupes, nouilles, œufs fécondés, poulpe grillé). On y trouve presque tout ce qui est imaginable et qui peut rentrer dans un marché.

Un endroit bruyant et très animé mais dans lequel j’ai pu faire une petite pause détente avec les smoothies à la mangue fraîche et au goût incomparable aux fruits trouvables en métropole (je pourrais écrire un article sur les fruits cambodgiens (aussi tropicaux, ceux dont je profité pendant mes 12 ans de vie en Guadeloupe)).

Photo de l'intérieur du Russian Market

Ce qui m’a achevé, c’est le combat de kun khmer (box cambodgienne). Un sport où tous les coups semblent permis et où le sang jaillit facilement. Mais c’était le chaos à l’intérieur, la salle manquant de places pour accueillir un bon millier de personnes (selon nos estimations), qui était de trop. Une salle qui entre en folie au moindre coup. C’est ce qui a terminé de m’épuiser après la longue journée et le manque de sommeil. Une bonne nuit de repos, un shutdown évité de justesse (jusqu’à ce que…) et on était partis pour…

Jour 4

… une nouvelle journée intense, après m’être rendu compte que j’avais échangé 200 euros contre deux faux billets de 100 dollars, et une virée dans la ville toujours aussi bruyante, en compagnie de mes amis. 

La fatigue s’accumulait, les sons se mélangeaient et la chaleur était toujours plus étouffante. Puis, tout s’est arrêté. J’ai vécu mon premier meltdown du voyage. Dans ma chambre. Seul. Impuissant. Le meltdown, c’est l’effondrement émotionnel autistique qui se produit quand le seuil de tolérance aux stimuli externes ou internes est atteint.

Quelques heures plus tard, encore vidé, j’ai eu la merveilleuse idée de tenter un massage cambodgien dans un salon reconnu, chose que je n’avais jamais faite avant. Dans l’espoir peut-être de court-circuiter la crise en tentant une expérience sensorielle plaisante. Mais rien. J’ai eu l’impression d’être un robot : tout me semblait mécanique, distant, presque sans saveur. À part avoir senti des mains appuyer sur mon corps, j’y ai été presque complètement insensible. En fait, c’était presque désagréable. Pas douloureux, mais juste un signe de désintérêt. J’étais peut-être en mode protection suite à la crise. 

Photo d'une fleur

Et puis elle a finalement pris ma main. Elle a appliqué plusieurs pressions dans son creux, délicatement mais fermement et finalement croisé ses doigts dans les miens pour les étirer. Quelque chose a enfin bougé. La sensation était presque fascinante, reposante, et sécurisante. Les mains disposent d’une forte charge proprioceptive, ce qui peut rendre le contact plus fort qu’avec le reste du corps. Elles sont souvent à forte densité affective et peuvent dès lors procurer cette sensation plaisante et sécurisante que j’ai ressentie.

Ça m’a rappelé cette même sensation de calme que j’ai parfois éprouvée en tenant la main d’amies proches, dans des moments où je n’étais pas à l’aise. Un geste aussi simple qu’intime, mais réparateur, partagé avec une parfaite inconnue. Je ne l’aurais jamais imaginé, avant.

Jour 5

Le lendemain, c’est le départ de Phnom Penh pour Kampong Cham. On devait s’arrêter à Skuon, la ville réputée pour ses mygales frites mais le chauffeur a visiblement oublié. Le trajet s’est avéré compliqué, serrés à l’arrière, me forçant à éviter le moindre contact physique et me recroqueviller sur le côté de la voiture. Le meltdown de la veille a laissé des traces, mes sensibilités sensorielles ont été fortement amplifiées. Les deux heures de trajet ont donc été très longues. À l’arrivée à l’hôtel, shutdown. Une autre crise autistique qui ressemble à un bug cérébral. Tout cesse de fonctionner. 

La crise passe et je me force à poursuivre l’aventure pour un premier temple et une virée dans le centre-ville. J’avais hâte de trouver un endroit où les Cambodgiennes se retrouvent le soir vers 17h pour danser sur une musique électronique (de la vraie techno khmer !) et on est tombés dessus par hasard. Très amusant et bonne ambiance !

Femmes dansant sur de la musique cambodgienne électronique

Si certains de mes amis ont été dépaysés, j’ai été finalement aux anges d’avoir eu la force de me lever du lit. Des Cambodgiens qui n’avaient pas l’habitude de voir des occidentaux se sont joints à nous au bar jusqu’à ce qu’on prenne une photo avec eux. Ni eux ne comprenaient ce qu’on disait, ni nous ne comprenions leurs mots, mais le sourire, la bonne humeur et les multiples « Tchoul moy » (« Santé ! ») ont suffi à me faire passer une excellente soirée. L’expérience cambodgienne de passer un peu de temps avec des locaux à base de communication avec des signes. Ils étaient ravis de dire quelques mots dans notre langue et très amusés de nous voir savoir parler quelques mots de la leur. Cela restera probablement l’un de mes meilleurs souvenirs (et il reste 20 jours !).

Voyager, c’est aussi observer comment notre cerveau réagit quand il est dérouté. Ici, il n’y a pas que les saveurs qui surprennent : tout le quotidien devient expérience sensorielle et curieuse, et c’est peut-être ça, le vrai dépaysement. 
En Guadeloupe, c’était la sensation de flottement en plongée sous-marine, les repas épicés, la chaleur du soleil. 
Au Cambodge, c’est la dégustation, le bruit ambiant, les odeurs. Et surtout, les gens. Parmi qui je rêverais de vivre.

📸 Photographies personnelles prises ces derniers jours.

Par Florent

Flo, développeur et cinéphile. Autiste et bipolaire, je partage ici mes cycles, mes passions et mes découvertes sur la neurodiversité.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *