Après avoir expliqué les routines et parler des miennes, il est évident que je me dois de porter un regard sur les rituels. Les rituels, comme les routines, transforment un monde perçu comme imprévisible en quelque chose de stable et maîtrisable. Pour rappel, la différence clé entre ces deux notions est qu’une routine est une suite d’actions ou de gestes réguliers et organisés, alors que le rituel est une action portant une valeur symbolique, émotionnelle ou identitaire.
La routine est pragmatique, le rituel est investi de sens. En somme, tout rituel est une routine, mais toutes les routines ne sont pas des rituels. Chez les personnes autistes, les rituels servent souvent de régulation émotionnelle et sensorielle. Ce phénomène est décrit précisément dans la littérature spécialisée, notamment dans une étude autour de différents témoignages de personnes concernées publiée sur Wiley Online Library (2008), qui explore comment ces comportements apportent sécurité et structuration au vécu sensoriel. Ils créent une bulle de stabilité dans un monde perçu comme chaotique.
📋 TL;DR : En bref
- Définition : les rituels sont des gestes porteurs de sens, symboliques ou identitaires, contrairement aux routines qui sont simplement fonctionnelles.
- Rôle essentiel : ils apaisent les personnes autistes, structurent l’émotionnel et le sensoriel en créant une stabilité durable.
- Différences clés avec les routines :
- Routine = actions régulières, pratiques
- Rituel = gestes plein de sens, sensoriels, émotionnellement impliqués
- Valeur personnelle : ils forment une bulle protectrice offrant contrôle et sécurité dans un environnement souvent perçu comme chaotique.
La différence avec les TOC
Certains rituels peuvent ressembler aux TOC, troubles obsessionnels compulsifs. Pourtant, leur valeur et leur rôle sont radicalement différents. Le rituel ancre, structure, apaise. Il est volontaire et peut provoquer un inconfort s’il n’est pas effectué mais ne déclenche habituellement pas d’anxiété.
Le TOC est motivé par une obsession, angoissante et intrusive, et une compulsion, qui a pour objectif de réduire cette angoisse ou une peur, comme le rappelle Ameli Santé. Il est contraignant et envahissant et n’a pas ce rôle de structure. Il faut savoir que certaines personnes autistes ont aussi des TOC. Les deux ne s’excluent pas.
- Routine : pratique, utilité, organisation (ex : se brosser les dents)
- Rituel : sens, symbolique, apaisement (ex : ranger ses stylos dans un ordre précis)
- TOC : contrainte, obsession, angoisse (ex : se laver les mains 20 fois par peur de contamination)
Pour mieux comprendre cette distinction, voici quelques rituels qui rythment mon quotidien. Ils ne sont pas figés. Ils varient selon mon état, et notamment lors des épisodes bipolaires.
Mes rituels qui m’accompagnent
J’ai de nombreux rituels. La plupart étaient au départ quasi inconscients. Ils se sont mis en place tout seuls et je n’avais pas conscience de leur caractère anormal, je pensais que tout le monde en avait. Après mon diagnostic, j’ai commencé à les lister un à un. Puisque beaucoup ont souvent du mal à les distinguer des routines, en voici quelques-uns pour éclairer mes lecteurs.
Les gestes du quotidien

- Je suis des règles précises pour marcher dans la rue, en évitant les grosses lignes et les fissures. Celui-ci est comme un jeu, que je perds (dans ma tête) si j’échoue, et qui m’apaise quand je me rends quelque part.
- Je touche toutes les bornes qui suivent les trottoirs.
- Je fredonne pendant l’écoute mais je m’amuse aussi à stopper et reprendre au bon moment, ajouter des variations, altérer la musique, la fredonner à l’avance en essayant de la prédire.
- Pendant longtemps, je cliquais pour allumer et éteindre tous les interrupteurs d’un appartement dans lequel j’entrais pour la première fois. Ça avait un côté sensoriel car j’appréciais le bruit du clic.
- Pendant un séjour au ski, je me suis mis inconsciemment à fermer toutes les portes que je croisais, même si quelqu’un était dans la pièce.
Loisirs et passions

- Au moins une fois par an, je fais un marathon : Star Wars (sans les épisodes post-ère Disney), la première trilogie Spider-Man, Back to the Future, Le Seigneur des Anneaux et John Wick.
- Je ne vais au cinéma qu’en VO et n’hésite pas à sortir de la salle si ce n’est pas le cas, et je reste dans la salle jusqu’à la fin du générique (pour la musique et par respect pour l’équipe du film) ; je refuse aussi d’y aller avec quelqu’un qui consommerait du pop-corn (le bruit m’étant envahissant).
- J’allume ma musique très fort dans mon casque (régulation sensorielle) dès que je me déplace et…
- J’écoute les mêmes musiques en boucle depuis plus de 10 ans (j’ai une fois écouté plus de 1000 fois la même musique en moins d’un mois). Celui-ci rend fou mes amis allistes.
Santé, plaisir et suivi

- Je cours le matin le lundi, le mercredi et le vendredi après mon premier café. C’est un moment de recentrage et de régulation sensorielle avec ma musique dans mes AirPods. Je m’y sens isolé du monde, dans ma bulle.
- Le matin, à 9 heures (pas avant), je prends mes traitements et note la durée de mon sommeil sur mon application de suivi des humeurs.
- Le soir, à 21 heures, je prends mes traitements et note toute une série de données dans cette même application : niveau dépressif, euphorique, anxiété et irritabilité, alcoolisation, crises autistiques etc.
Les rituels, je peux passer outre, par souci de ne pas paraître bizarre (éviter les lignes et les fissures sur le sol l’est). Mais c’est une manière de me calmer habituellement, presque comme un jeu qui a le même rôle de prédictabilité que la routine.
Le café, impossible de m’en passer
Dans mon article concernant les routines, je mentionnais le café dans ma routine matinale. Pour donner un peu de contexte pour la suite, je me suis rendu des dizaines de fois en carrières souterraines (comme les catacombes de Paris). Ces lieux permettent l’extraction de roche — souvent du calcaire. La plupart de ceux que j’ai visités ont été fermés depuis longtemps. J’y ai plusieurs fois passé des week-ends entiers, voire quelques jours de plus. Ce sont des lieux de refuge sensoriel.

Même lorsque je me rendais dans ces carrières, j’étais toujours armé de mon café soluble, qu’importe son goût douteux. Dans l’incapacité de poursuivre ma routine matinale dans ces carrières, le café maintient un rôle important mais de rituel cette fois.
Un ordre précis pour diverses actions
Je mentionnais aussi dans l’article sur les routines, les lessives du dimanche. La routine inclut le rangement, qui devient alors un rituel, dans le sens où il suit une règle interne précise. Je range selon une méthode spécifique mes sous-vêtements, et le lendemain plie mes t-shirts eux aussi selon une méthode spécifique. Un proche ami m’a un jour vu faire et avait été surpris d’à quel point mes t-shirts étaient bien pliés.
Enfin, dans ma routine matinale, le passage à la salle de bain implique aussi plusieurs rituels. Je prépare mes affaires dans un ordre précis. Puis j’étale sur le sol les tapis de bain, rentre dans la douche pour me laver toujours de la même manière. Et enfin, je me sèche toujours de la même manière et m’habille.
Avez-vous vous aussi une manière atypique de marcher dans la rue ou de ranger vos affaires ?
Lors d’un burn-out autistique, mes rituels prennent une place particulière (Comprendre l’Autisme). J’y reviendrai dans un article dédié, tant ce sujet mérite un développement à part entière. C’est surtout la manière dont mon trouble agit avec mes rituels que je souhaite évoquer.
Et la bipolarité dans tout ça ?
Lors d’une dépression
J’ai été dépressif de nombreuses fois dans ma vie, parfois sur de très longues périodes. Si mes routines demandent un certain effort que je ne souhaite plus fournir (la douche par exemple), mes rituels se maintiennent. Dans un contexte où je suis d’humeur très triste toute la journée, ils m’apportent un semblant de confort dont je ne peux me passer. L’anhédonie, ou la perte de plaisir, critère principal de la dépression, me fait toutefois perdre mon intérêt pour le cinéma progressivement. Ce n’est donc pas pendant des périodes dépressives que je me lancerai dans un marathon Star Wars. C’est ce qui m’a permis d’identifier que mon premier burn-out différait d’une dépression, car je n’avais pas perdu plaisir à regarder des films. Au contraire, je m’y plongeais de manière extrême.
Pendant un épisode hypomaniaque
Un peu à la manière d’un burn-out, lors d’un épisode hypomaniaque, mon adhésion à mes rituels s’amplifie jusqu’à en introduire de nouveaux. Lors d’un épisode qui a conduit à une manie en avril, je me suis mis à journaliser tout ce que je buvais dans la journée au CL près. Et à rédiger dans mon journal intime des dizaines d’entrées. C’était frénétique : chaque détail se devait d’être consigné pour donner sens à ma journée. On a cru alors que j’étais en burn-out, car mes autres traits autistiques s’étaient aussi amplifiés. Ce n’est qu’après le virage maniaque et avoir été stabilisé qu’on a compris que j’étais entré en hypomanie (Fondation Fondamentale, le Trouble bipolaire).
Cela complique beaucoup l’identification d’un épisode euphorique car ses premiers signes ne sont pas forcément ceux du DSM-5 (le manuel de diagnostic des troubles mentaux) mis à part la réduction du sommeil et la productivité grimpante. Le reste des signes se manifeste rapidement mais plus tard. Et c’est souvent d’ailleurs trop tard car le virage maniaque suit quasi systématiquement.
L’épisode maniaque
Comme pour mes routines, tous mes rituels sautent lorsque j’entre en épisode maniaque. Aujourd’hui, je le vois comme le premier signe que ça ne va pas. Je passe d’une vie très structurée par mes rituels au chaos absolu.
Et comme je manque d’insight, je m’oppose absolument à toute réflexion selon laquelle je pourrais avoir fait un virage. Plus l’épisode prend en intensité, a contrario de ce qui est attendu d’une manie, plus je prends conscience de la manière anormale dont je me comporte. Et si ça grimpe encore, je peux perdre tout insight et donc capacité à comprendre que je suis euphorique. Je ne réalise alors plus que j’ai perdu mes routines et mes rituels, ou alors jetterai la responsabilité sur une cause extérieure.

J’ai maintenant une application de suivi des humeurs sur laquelle je note de nombreux indicateurs quotidiennement qui m’aident à identifier le début d’un épisode. Seulement, le problème des épisodes euphoriques, c’est souvent qu’on n’a pas envie d’en sortir et qu’on ne se rend pas compte de son propre état. Mon application sert donc plutôt à faire un bilan qu’à m’alerter.
Comprendre la différence entre routines, rituels et TOC permet de mieux distinguer ce qui relève d’un besoin de structure apaisant et ce qui devient une contrainte pathologique. Beaucoup de rituels sont des alliés précieux pour naviguer ce chaos. Si de votre côté vous avez des rituels atypiques ou simplement importants pour votre fonctionnement, n’hésitez pas à les partager.

