Les crises autistiques font partie intégrante de la vie de nombreuses personnes autistes. Après les avoir évoquées dans leur globalité dans cet article, il convient d’en faire leur description, à commencer par le shutdown, souvent décrit comme l’effondrement autistique, ou le repli social. Le shutdown est également défini comme un repli autistique, une réaction involontaire de retrait déclenchée par une surcharge sensorielle ou émotionnelle (Wikipedia). Pourtant, la crise va bien au-delà d’un simple repli, c’est une réelle réaction neurologique d’autistique destinée à court-circuiter une surcharge que le cerveau perçoit comme un danger.
📋 TL;DR : Le shutdown en bref
- Shutdown = implosion (mutisme, retrait, immobilité).
- Déclenché par une surcharge (sensorielle, cognitive, sociale ou émotionnelle).
- Réaction neurologique de protection, pas un choix ni un repli volontaire.
- Pendant : respecter le mutisme, proposer présence calme si souhaitée, réduire les stimuli.
- Après : repos, récupération (parfois plusieurs jours), surtout zéro reproche.
Le shutdown, l’implosion
Le shutdown, c’est l’implosion. Quand la surcharge arrive, le cerveau plante. Avant d’appeler ça un shutdown, je parlais de bug cérébral. Je ne fonctionne tout simplement plus. Il existe deux formes de shutdowns : le shutdown partiel, plus invisible, et le shutdown complet. Le premier survient chez moi lorsque je suis dans l’incapacité de me mettre à l’abri et de m’isoler. Je communique avec difficulté, mes sensibilités sensorielles s’amplifient. Tout devient trop, mais je fonctionne au minimum de mes capacités.
Comparaison avec le freeze
Le freeze, c’est une réaction commune face au stress. Cela peut se traduire par une immobilité, une incapacité à réagir ou un blocage momentané (Simply Psychology). C’est pourquoi on peut rapprocher le shutdown du freeze. Il est pourtant très différent : la personne ne choisit pas le shutdown mais subit une sorte « d’arrêt sur image » qui la met dans l’incapacité de fonctionner, même si elle le souhaitait, comme le décrit la NHS.
Elle peut chercher à communiquer avec son entourage mais ne simplement pas avoir la capacité de le faire. Ses besoins primaires peuvent être temporairement écartés. Le cerveau bloque tout ce qu’il peut pour se réinitialiser et permettre à la personne autiste de refonctionner. Alors que le freeze n’est que ponctuel, et s’arrête lorsque le danger est éloigné, le shutdown peut durer plusieurs minutes ou plusieurs heures même loin du danger.
Dans les deux cas, le cerveau interdit la possibilité d’agir mais le ressenti est totalement différent. Le freeze est lié à une peur alors que le shutdown est vécu comme une implosion : il cherche à agir mais ses accès sont bloqués par le cerveau. Cela peut être très déstabilisant et laisser la personne confuse.
Les manifestations
Le shutdown se manifeste différemment pour chaque autiste. Il y a cependant diverses réactions classiques vécues par les personnes autistes, parmi lesquelles l’immobilité (elle ne peut plus bouger, même en cherchant à le faire), le mutisme partiel ou total et le ralentissement moteur (mouvements plus lents). Le mutisme n’est pas volontaire mais souvent lié à un blocage de l’accès au langage. Pour l’illustrer, lorsque je vis un shutdown en extérieur, je me retrouve à devoir répondre et ressentir une incapacité à le faire ou une sorte de « lag ». Je suis lent et dois prendre plusieurs secondes pour répondre. Parfois, je perds tout simplement la capacité de le faire, entends mon entourage mais ne dispose plus des ressources internes pour communiquer.
Les personnes en shutdown ressentent aussi souvent une fatigue intense qui s’attaque à toutes leurs sphères : cognitive, sensorielle, émotionnelle, sociale et même physique. La saturation cognitive est souvent décrite comme un bug, un écran noir ou le BSOD de Windows (Blue Screen of Death). Il s’agit pour les non-connaisseurs de l’écran bleu de la mort de Windows, un écran qui s’affiche quand Windows rencontre une erreur critique, et qui semble inexplicable. Le shutdown, c’est un peu la même chose : le cerveau rencontre une erreur critique sans toujours savoir pourquoi et crash.

Comment je vis un shutdown
Habituellement, je fais plutôt des shutdowns complets car j’arrive à retarder la crise pour qu’elle se produise chez moi, au prix d’un shutdown encore plus intense et long. Parfois, je fais des shutdowns partiels, moins visibles mais tout aussi drainants d’énergie.
Mon vécu d’un shutdown partiel
Je ne l’ai pas vu venir. J’étais en soirée, après une longue journée à naviguer en ville en visite chez une amie. Le bruit me semblait tolérable mais je devais également composer avec une sociabilisation plus coûteuse car je ne connaissais presque personne sauf mon amie.
On est finalement rentrés en voiture et j’ai soudainement disjoncté. Tous mes câbles ont sauté et se sont éteints. Mon amie me parlait, j’essayais de me reposer appuyé sur la portière mais il me fallait lui répondre. Je n’avais pas compris que j’étais en train de faire une crise. Je percevais juste ma difficulté à fonctionner, soudaine. Elle me parlait, et je cherchais à répondre, mais c’est comme si mon cerveau bugguait. Je prenais plusieurs secondes pour lui répondre. Et mes réponses étaient courtes. Mes hypersensibilités étaient décuplées. Je sentais bien un bug cérébral car j’avais du mal à comprendre ce qu’elle disait et je voulais simplement m’éteindre. Pas dormir, non. M’éteindre. Cesser de fonctionner. Car j’épuisais le peu de ressources encore disponibles pour fonctionner à minima et ne pas paraître bizarre.

On est finalement arrivés chez elle, quand j’ai pu enfin m’isoler, comprendre qu’une crise s’était lancée et que je devais simplement m’allonger et attendre que ça passe. Je suis alors passé en shutdown complet.
Mon vécu d’un shutdown complet
Dans un shutdown complet, je ne fonctionne plus du tout : je m’assois ou m’allonge, deviens immobile (et ne peux réellement plus bouger) et mutique. Je ne peux plus du tout subvenir à mes besoins primaires. Si j’appelais ça un bug cérébral, c’est aussi parce que j’en viens à boucler sur une ou plusieurs pensées qui me sont gênantes, comme si j’essayais de mettre de l’ordre dans mon chaos interne. Plus rien ne fonctionne et il faut rebooter/redémarrer le cerveau.
En shutdown complet, mon cerveau peut ainsi couper certaines de mes perceptions sensorielles pour court-circuiter la surcharge. C’est le thalamus, véritable “gare de triage” des sens, qui agit comme un filtre entre les récepteurs sensoriels et le cortex : il ralentit ou bloque les messages sensoriels pour protéger le système (MIT, thalamus comme filtre sensoriel).
Les bruits deviennent lointains, la vision devient tunnel et je ne peux pas sentir les vibrations de ma montre. Le shutdown laisse souvent la personne autiste complètement drainée de toute énergie et il ne sera pas étonnant de la voir se replier socialement les heures ou jours qui suivent. Voilà un extrait de ce que j’ai écrit dans mon journal, qui a fait suite à une journée extrêmement surchargée socialement et (surtout) sensoriellement :
Juste après, je m’allonge sur le côté droit, recourbé, et je shutdown. Pendant presque une heure, pendant lequel j’ai failli partir en meltdown en sentant les larmes arriver. Je pense en boucle à divers sujets pour remettre de l’ordre, à mes amis que j’avais envie d’appeler à la rescousse.
C’est rare que ça m’arrive mais pendant le shutdown j’ai plusieurs fois été déconnecté complètement de mon ouïe, n’entendant plus mes amis faire la fête à l’extérieur ni la mouche voler dans la pièce. Je ne sentais que mon corps serré et entendais par moment ma respiration qui me calmait.
Pendant ce shutdown, j’étais incapable de bouger, malgré ma volonté de le faire. Je me sentais prisonnier. J’aurais pu avoir envie de parler, je n’aurais pas réussi. C’est comme si mon cerveau bloquait cette fonctionnalité et je ne comprenais pas pourquoi.

Les déclencheurs types
Comme je le décrivais dans mon article sur les crises autistiques, les shutdowns peuvent avoir plusieurs types de déclencheurs. Comme l’explique l’article Crise Autistique : Causes, Signes et Solutions (Jilu), les shutdowns sont déclenchés par une surcharge sensorielle ou émotionnelle. Dans mon expérience et selon d’autres témoignages, les déclencheurs vont encore plus loin : surcharge cognitive, sociale et émotionnelle intense.
Le facteur sensoriel
Divers déclencheurs communs sont rapportés dans les shutdowns. Le plus habituel, c’est la surcharge sensorielle. Généralement, j’ai d’autres facteurs qui ont précédé le shutdown mais c’est souvent le sensoriel qui le déclenche. Trop de bruits, trop de lumières, trop de mouvements, trop d’odeurs. Autant de facteurs souvent responsables d’un shutdown. Je me rappelle une fois m’être retrouvé dans une rue parisienne où j’ai vécu une surcharge extrême : poussettes, bruits de pas sur le trottoir, voitures et klaxons. Tout ça est devenu trop intense et a découlé en shutdown, me forçant à m’assoir sur le bas-côté, recroquevillé, casque sur les oreilles, à attendre que ça passe.
La surcharge cognitive
La surcharge cognitive est également réputée pour déclencher des shutdowns. La première crise que j’ai nommée shutdown (avant, je parlais de bug cérébral) était due à une surcharge sensorielle. Je m’en souviens encore alors qu’elle s’est produite en 2019 et je m’en souviendrai toujours. Je discutais d’écologie avec mon ex-meilleure amie qui étudiait dans le domaine et après l’avoir entendue déconstruire tout ce que je savais, je me suis écroulé sur ses genoux. Je me suis retrouvé à continuer à pouvoir parler mais avec difficultés, à ne plus pouvoir bouger et à ressentir un flux de pensées en boucle dans ma tête. Elle s’est montrée compréhensive et a simplement attendu que je me relève après 15 minutes. J’en ai été très confus car je ne savais pas ce qu’il venait de se produire.
La surcharge sociale
Le facteur social est très réputé également pour induire des crises : interagir trop longuement, se retrouver trop longtemps en situation avec d’autres personnes sans pouvoir se ressourcer. J’apprécie être au téléphone avec certains amis proches mais connais le risque associé à déclencher un shutdown si l’appel est trop long. La raison : interagir au téléphone me demande beaucoup plus de compensation pour comprendre l’état mental de l’autre, dans le sens où je n’ai pas de visibilité sur ses expressions faciales, que j’analyse en temps réel lors d’un face à face. L’appel est donc encore plus coûteux.

Quelques citations de mon journal sont plus parlantes :
Suite aux larmes, le shutdown. Je me suis couché dans mon lit quand cela s’est produit. Une éruption volcanique de mes sensibilités sensorielles. Tout est devenu trop. La faible luminosité de la pièce, le bruit de mon frigo, de l’aération dans la salle de bain, de l’extérieur.
Je me suis trouvé dans un état dont j’avais la sensation de ne jamais avoir atteint auparavant. Résultat : l’écran bleu de la mort. Tout a disjoncté. Une seconde, je sentais mon chat se blottir contre moi et tenter de m’apaiser un peu, l’autre, plus rien. Le noir. Les yeux fermés, mes pensées ont accéléré n’ayant plus de lien logique ou ne suivant pas un chemin clair et précis. Mon cerveau tentait de rebooter en vain.
[…]
Cela fait des heures que je suis en larmes car je suis à la fois hyper-activé et complètement anéanti, vidé d’énergie.
La surcharge émotionnelle
Finalement, le facteur émotionnel. Il est bien réel, il survient souvent à cause d’émotions négatives (colère, frustration) qui envahissent la personne autiste au point qu’elle devienne incapable de les gérer. Une crise survient alors, pour court-circuiter l’émotion en cause. Je parle d’émotions négatives mais les crises liées à une surcharge positive sont elles aussi bien réelles. Elles sont souvent moins longues et moins intenses mais j’en ai fait l’expérience pour la première fois le 30 juin 2025, et l’expérience était très désagréable.
Que faire à propos d’un shutdown
Pendant le shutdown
Sous forme de liste, voici quelques gestes simples et élémentaires à adopter en présence d’une personne victime d’un shutdown :
- Laisser la personne s’isoler
- Lui fournir une présence rassurante si demandée
- Lui proposer une aide pratique : objets pour stimmer
- Ne pas lui reprocher quoi que ce soit
- Réduire la stimulation sensorielle
Après le shutdown
En fait, en shutdown, le cerveau inhibe certaines fonctions. Cela se traduit par un blocage cérébral qui est très coûteux. Si la personne paraît immobile, il y a en réalité une tension musculaire extrême. Cela puise dans son énergie. La libération massive de cortisol (hormone du stress) et d’adrénaline dans la crise sont également responsables de la fatigue qui s’ensuit. Il convient donc de laisser la personne autiste se reposer, autant qu’elle en a besoin (j’ai parfois besoin de plusieurs jours pour me remettre d’un shutdown). Si la personne semble avoir des difficultés à parler, il faut alors ne pas la forcer et respecter ses besoins.
Surtout, ne pas lui faire de reproches. On m’a une fois reproché de ne pas avoir su gérer ma crise et affecter les autres alors que la première victime de la crise, c’était moi. Je l’ai très mal vécu car je culpabilisais déjà tellement que j’avais du mal à en parler, et on me disait directement que j’avais été gênant. Mon fonctionnement était nocif pour les autres. On m’interdisait d’exister.

Recherche de l’autre pendant la crise
En plein shutdown, il m’arrive occasionnellement de vouloir m’isoler dans ma bulle sensorielle mais de rechercher la présence d’une personne de confiance. Malheureusement, je me sens souvent coupable et avec un sentiment de faiblesse si je la demande et préfère (ou n’ai pas le choix de) rester seul. Une présence dans la pièce m’est pourtant très réconfortante. Dans le chaos interne ou externe, une personne m’offre un équilibre et m’enlève la sensation de devoir affronter seul la crise.
Quand les shutdowns se sont multipliés, j’ai commencé à avoir peur du regard de l’autre, peur qu’il puisse penser que je ne fasse pas d’efforts et que je doive m’auto-gérer. Je m’isole donc et attends que la crise passe.
Un court-circuit de la bipolarité
Je l’aborderai plus en profondeur dans un futur article mais voici quelques mots sur la manière dont mes shutdowns interagissent avec ma bipolarité. Dans la dépression, mes shutdowns apparaissent moins mais c’est probablement dû au fait que je sors très peu et suis donc moins susceptible d’en déclencher. Dans la manie, mes shutdowns disparaissent. Mon cerveau carbure à fond et ne laisse pas la place à mes crises autistiques… avant qu’il ne crash. Un épisode maniaque se termine généralement en un lourd et intense shutdown.
C’est surtout pendant les épisodes hypomaniaques que l’altération de ma capacité à shutdown est la plus marquante. Il faut rappeler que les épisodes (hypo)maniaques abîment le cerveau de la même manière qu’une substance toxique. Le flux de pensées est extrême. Chez moi, cela se traduit par des crises plus fréquentes, comme si mon cerveau cherchait à court-circuiter un danger interne. Mes épisodes hypomaniaques amplifient aussi mes hypersensibilités sensorielles, c’est pourquoi les crises apparaissent aussi plus régulièrement. Un témoignage sur Reddit mentionne d’ailleurs l’hypomanie comme facteur déclencheur de ses shutdowns.
Néanmoins, tout cela est récent. Avant mon premier burn-out, je faisais l’expérience de crises autistiques de manière occasionnelle. Elles se sont manifestées de plus en plus fréquemment au point qu’elles tentent de court-circuiter mes hypomanies très régulièrement. Pour symboliser ce court-circuit, je compare souvent mon cerveau à une ampoule qui surchauffe jusqu’à griller et s’éteindre brutalement.

Comprendre le shutdown, c’est comprendre que ce n’est pas une faiblesse mais une réaction neurologique. Et parfois, accepter qu’il faille simplement laisser le cerveau redémarrer.
📋 TL;DR : Retenir l’essentiel
- Définition : Shutdown = implosion autistique (mutisme, retrait, immobilité, réduction des capacités).
- Origine : surcharge sensorielle, cognitive, sociale ou émotionnelle.
- Différence avec fatigue ou timidité : ce n’est pas un choix volontaire, mais une réaction neurologique de protection visant à couper le flot d’informations.
- Durée : de quelques minutes à plusieurs heures ; récupération parfois sur plusieurs jours.
- Signes associés : mutisme, communication réduite, hypersensibilités accrues, immobilité ou gestes limités, impression d’être « bloqué ».
- Pendant la crise : respecter le mutisme, réduire les stimuli, proposer une présence calme si demandée, ne pas faire de reproches.
- Après la crise : épuisement global (émotionnel, sensoriel, cognitif, physique). Repos nécessaire, parfois sur plusieurs jours.
- Clé de compréhension : un shutdown est un court-circuit neurologique protecteur, pas un repli volontaire ni un manque d’efforts. Le reconnaître comme tel, c’est déjà offrir un soutien.
Pour aller plus loin, Autisme123 propose une page explicative avec des ressources sur le shutdown, le vécu sensoriel de la personne concernée et comment l’accompagner au mieux. Le blog Pourquoi pas autrement revient également sur cette crise et ses différences avec le meltdown.
📚 Pour aller plus loin
Explorez le hub Autisme, qui rassemble toutes mes ressources sur les crises autistiques, la surcharge sensorielle, les routines et le fonctionnement autistique.

