J’ai accumulé au fil du temps toutes sortes d’atypicités qui dépassent les simples critères de diagnostic. Elles font partie de mon quotidien, et de l’acceptation de mon autisme. Petit à petit, elles ont même renforcé la légitimité de mon diagnostic. J’ouvre donc cette série d’articles pour raconter ces péripéties autistiques : des bizarreries parfois loufoques, parfois drôles, toujours singulières. J’appelle ça mes autisteries — un mot que j’ai inventé pour désigner ces petites absurdités typiquement autistiques… et qui me font souvent sourire (et parfois les autres aussi).
Certaines de ces autisteries sont liées à ma rigidité, d’autres à ma façon de communiquer et d’interagir avec les autres. Elles rentrent dans les critères mais ne sont pas forcément ce que va rechercher le corps médical lors de son évaluation diagnostique.
Prendre un peu trop au pied de la lettre un article
Plus jeune, j’arrivais souvent en retard aux rendez-vous (sauf scolaire et professionnel). Mon beau-frère m’a alors envoyé un article qui expliquait ceci : à l’heure, c’est en retard ; en avance, c’est à l’heure. L’article expliquait alors qu’être à l’heure signifiait risquer de faire attendre l’autre personne arrivée potentiellement en retard, et qu’être en avance était donc le seul moyen de ne faire attendre personne, quitte à attendre soi-même.
Après lecture de cet article, j’ai appliqué ce fonctionnement comme un crédo. J’arrivais en avance partout où je devais me rendre, au point d’arriver parfois avec quarante minutes d’avance. Cela nécessitait une certaine gymnastique de préparation, devant faire avec les retards des transports en commun eux-mêmes. Quarante minutes d’avance à l’arrivée, c’était parfois une heure d’avance au départ. J’étais probablement un peu dans l’exagération, je vous l’accorde.
Pour mes amis en revanche, qui donnaient une heure de rendez-vous dans leur appartement, ils m’attendaient au minimum à l’heure convenue. Pas avant. Avant, c’était les forcer à m’accueillir alors qu’ils n’étaient pas forcément prêts. De mon côté, lorsque je faisais la même chose, j’attendais les autres avant l’heure du rendez-vous (ça n’arrivait étrangement jamais). J’ai eu plusieurs fois des réflexions à ce sujet jusqu’à ce que je trouve la solution.

Je me suis alors mis à continuer d’arriver en avance et attendre sagement derrière la porte. Aujourd’hui, j’attends l’heure exacte en regardant ma montre et sonne à l’interphone. Ce qui a le don d’amuser la galerie. C’est quasi devenu un running gag car j’arrive parfois de justesse et n’hésite pas à presser le pas pour être pile à l’heure.
J’ai même récemment reçu un message d’un ami à 18h10 qui m’avait dit de venir à 18h30 chez lui, le voici : « Monte maintenant si tu attends en bas 😂 ». Tellement habitué à me savoir attendre en bas qu’il a prévu le coup. Pour une fois, j’étais encore dans le bus (mais j’allais bien arriver précisément à 18h25).
Galérer à comprendre les expressions
Les expressions et moi, c’est une longue histoire. Pendant des années avant mon diagnostic, lorsque quelqu’un se servait d’une expression que je ne connaissais pas, je présumais simplement qu’il disait quelque chose de bizarre et ne réagissais pas. Parfois, elles me faisaient rire, et riais donc tout seul dans ma solitude adorée.
Un ami proche m’a un jour testé sur ma connaissance des expressions les plus classiques pour évaluer le niveau de difficultés que ça me présentait. Certaines, je les connaissais. Exemple : « couper l’herbe sous le pied » ; « il ne faut pas pousser mémé dans les orties » ; etc. D’autres, inconnues. Et là, soit je restais de marbre, soit je riais. Parfois, j’étais parfaitement incapable d’en comprendre l’explication car j’étais bloqué à sa visualisation littérale. C’est le cas de « décrocher la lune ». Impossible d’imaginer autre chose qu’une lune accrochée au ciel par un fil, et un petit bonhomme en train de le découper. Et en plus, ça déclenchait un rire explicable qu’en décrivant ma pensée à mon ami.

Galérer à employer les expressions
Il m’arrive aussi souvent d’essayer de me servir d’une expression que je connais mais maîtrise mal. Dire sans faute « il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué » m’est quasiment impossible. Employer « marcher sur des œufs » également. En plus de trouver l’expression bancale car elle sous-entend de devoir faire attention, comme en faisant attention pour ne pas casser les œufs. À mon sens, les œufs casseraient quoi qu’il arrive.
Et pour la petite blague, je me suis une fois trompé de mot en tentant d’utiliser « chercher une aiguille dans une botte de foin » et me suis retrouvé à dire « chercher une anguille dans une botte de foin ». Mais ça a eu son effet de faire rire et j’ai conservé l’expression, ne me préoccupant pas de laisser croire à mon interlocuteur que je m’étais trompé. J’ai même réussi à la caler deux fois dans des situations cohérentes (alors que je cherchais mon téléphone devant mes yeux).

Payer pour voir une bande-annonce au cinéma et… partir
J’ai scandé tout mon entourage en parlant de mon projet d’aller voir la bande-annonce d’Avatar: Fire and Ash au cinéma. Il fallait comprendre par là que je songeais payer ma place (pour la voir en 3D), et sortir de la salle. Mes parents s’en sont offusqués. Pourtant, la logique tenait : ce qui aurait été absurde serait de regarder le film qui passait après. Je ne voulais pas voir le film car il s’agissait du dernier Marvel Studios, dont je refuse de voir les films.
De mon point de vue, ça n’a pourtant rien de différent de ces gens qui payent leur entrée dans un festival pour ne voir qu’un groupe, ou un concert pour n’en voir que la première partie. J’obtiens bien ce pour quoi j’ai payé (ma bande-annonce, non diffusée sur YouTube), quand bien même je détournerais l’intérêt du billet de cinéma pour ce faire.

Dans la directe lignée de mes bizarreries au cinéma, je refuse de rater une seule seconde du film. Lorsque j’ai tenté d’aller voir le dernier Mission Impossible pour la première fois, je suis arrivé alors que les lumières étaient éteintes. Je suis ressorti. Ça peut sembler amusant (ça l’est probablement) mais j’en ai été très frustré.
Mon humour littéral et absurde
N’importe qui qui connaît une personne autiste aura sans doute eu droit à son lot de blagues quelque peu atypiques. Un humour qui peut surprendre. Je ne fais pas exception. Un ami m’a une fois filmé à côté d’un panneau « Pelouse interdite ». Il s’agissait évidemment d’interdire de « marcher sur la pelouse », mais pris littéralement, ça indiquait que la pelouse n’avait pas le droit de pousser.
En voyant des chevaux brouter l’herbe, je me suis aussi demandé ce qui se passerait si nous, humains, faisions de même en mangeant le sol. Sur une moquette, on devrait alors la manger mais on pourrait même la fumer. Je vous donne ces deux blagues avec royalties si vous vous en servez un jour.
J’ai aussi imaginé que si les animaux se rapprochaient des humains dans les safaris, c’était pour les observer parce que « bientôt, y en aura plus » (dérive absurde de « il faut économiser l’eau » et de la fascination humaine pour les espèces en voie de disparition).
Parfois, les gens comprennent, parfois non. Mais moi, je me fais en tout cas bien rire tout seul.

J’en reste là et vous garde d’autres fulgurances pour de futurs articles (puisque je journalise même le verre d’eau que je viens de boire).
Ma manière de communiquer agaçante (apparemment)
Pendant des années, j’appelais très peu. J’envoyais également très peu de messages. Je ne savais pas que c’était nécessaire pour conserver ses relations. Le jour où je l’ai appris, j’ai drastiquement modifié mon mode de communication au point d’en devenir assez envahissant. Je pouvais alors appeler et infodump mon interlocuteur, mais sans me préoccuper de lui demander des nouvelles. Sacré preuve de ma compréhension du concept de maintenir le lien avec les autres (sarcasme).
Du coup, on a fini par m’instruire et m’expliquer comment commencer un appel… ce que j’ai appliqué parfaitement. Je commence mes appels en demandant des nouvelles, de préférence sur un événement récent, et j’attends un silence pour engager le sujet de l’appel. Spoiler alert: c’est robotique, ça s’entend, et ça amuse. Mais ça les ravit, ils perçoivent mon effort.
Parfois, c’était pire : je pouvais concevoir comme un besoin urgent d’avoir une information, pour un rendez-vous plus tard dans la journée, et appeler la personne pour régler mon problème au plus vite. Qu’il s’agisse de savoir s’il fallait faire les courses ou savoir à quelle heure je pouvais arriver. Plutôt qu’envoyer un message, je privilégiais l’appel. Au détriment de l’autre. Après quelques années à me faire réprimander, j’ai trouvé le juste milieu… même s’il m’arrive occasionnellement de reprendre mes bonnes vieilles habitudes.

Une vaste connaissance de faits insolites
J’ai une vaste connaissance de faits plus ou moins insolites, parfois de fun facts, et suis connu de mes amis pour cela. Si vous ne saviez pas que 9 Américains étaient morts foudroyés sur un terrain de golf entre 2006 et 2016, maintenant c’est fait (voir Golfsupport.com).
Je vous en offre une autre : une seule espèce de litchi est cultivée pour son aspect commercial. Nul besoin de se payer un billet d’avion pour les îles, allez directement au restaurant pour le même résultat. Cela réduira votre empreinte carbone.
D’ailleurs, le concept d’empreinte carbone individuelle a été émis par une entreprise qui n’est autre que British Petroleum, une des plus grandes compagnies pétrolières au monde. Sacré ironie : l’entreprise qui vend du pétrole se met à inventer le concept qui culpabilise les consommateurs…
Dans le même genre ironique, la climatisation qui sert à rafraîchir des environnements trop chauds participe à hauteur de 3 à 4% des émissions de gaz à effet de serre (Our World in Data) qui elles-mêmes sont à l’origine du réchauffement climatique, qui participe lui-même à ce besoin d’utiliser la climatisation.
Mon crédo : « Plus on utilise la clim, plus on en aura besoin ».
(Mais bon, c’est quand même douillet la clim).

Bref, mes autisteries sont parfois absurdes, parfois agaçantes, mais elles font partie de moi. Et elles me font rire (parfois les autres aussi), ce qui est déjà beaucoup.

