Illustration d'un homme pris au piège dans une roue (type fête foraine) des cycles de la bipolarité

J’ai écrit de nombreux articles de ce blog en l’espace de quelques jours. Un mois avant, j’avais écrit deux livres en moins de deux semaines. Encore avant, en mars 2025, j’ai vécu une expérience ultra stimulante à sociabiliser du matin au soir pendant un stage de ski. En janvier, même schéma. Le point commun ? Il s’agissait là à chaque fois d’épisodes hypomaniaques à la suite desquels se sont systématiquement développés des épisodes maniaques. Après une saison 28 riche en rebondissements, la saison 29 commence mal : dans l’épisode de septembre, ma psychiatre m’a confirmé que j’étais passé en cycle rapide.

Si certains termes comme manie, hypomanie ou épisode mixte vous semblent flous, pas d’inquiétude : je publierai bientôt des articles dédiés à ces notions pour les expliquer plus en détail.

📋 TL;DR : Le cycle rapide en bref

  • Production frénétique (livres, articles) → hypomanies.
  • Ski, sociabilisation extrême → virage maniaque.
  • Mai–juin : candidatures massives, dépenses excessives.
  • Juillet : 4ᵉ épisode maniaque avec hallucinations.
  • Cycles rapides : épisodes intenses, traitements moins efficaces.

Le cycle rapide, c’est lorsque la personne bipolaire fait l’expérience d’au moins 4 épisodes en moins d’un an. On estime qu’entre 12 et 24 % des personnes bipolaires sont à cycles rapides (d’après cette étude). Le plus habituel, c’est de la voir osciller entre (hypo)manie et dépression. Ça a été mon cas pendant plusieurs années lorsque j’étais plus jeune et pas encore diagnostiqué. 

Une maladie évolutive

La bipolarité est une maladie qui évolue avec le temps. Elle peut se manifester différemment avec l’âge. Ses symptômes deviennent souvent de plus en plus sévères lorsqu’elle n’est pas traitée (Haute Autorité de Santé). Ses caractéristiques peuvent varier : une personne avec des caractéristiques mixtes régulières pourra cesser d’en avoir. Un cycle rapide n’est donc pas forcément un arrêt de mort. De faire l’expérience de plusieurs épisodes dépressifs et plusieurs hypomanies courtes, je me suis « stabilisé » dans une manie annuelle et des dépressions moins régulières. Avant janvier 2025. 

Précédemment dans le cerveau atypique/un peu cassé de Flo.

Un épisode hypomaniaque passé inaperçu

En ce mois de janvier, je commence à être plus euphorique, à dormir moins, à me lancer dans la course à pied, et à faire plus d’achats. Ma mère perçoit des signes que je refuse d’admettre car dans mon esprit, « tout va bien ». Je détaillerai ceci, qu’on appelle la perte de l’insight, dans un article sur l’hypomanie. L’épisode se poursuit en février… jusqu’au disjonctage total.

L’euphorie grimpe, je me sens électrique, je regarde The Big Bang Theory en moins d’une semaine (12 saisons de 24 épisodes chacune environ). Il n’en faut pas beaucoup plus pour que je commence à avoir des hallucinations : entendre de la musique, voir des apparitions dans le coin de l’œil, sentir des choses me toucher. Surtout, je commence à avoir des idées douteuses : une sensation de mission, de guider les personnes en situation de handicap. Mon médicament est ajusté et annihile l’épisode en quelques jours, ce qui me surprend, et ma psy avec.

Homme euphorique devant Big Bang Theory et une pile de DVD de la série à côté
Binge-watching de Big Bang Theory

Un nouvel épisode plus intense un mois après

Ma bipolarité n’a pas dit son dernier mot. Moins d’un mois après, je participe à un stage de ski d’une semaine avec l’UCPA. À ma surprise, je ne suis pas fatigué par le bruit sensoriel qui m’entoure. Au contraire : je prends plaisir à converser, notamment avec toutes les personnes anglophones que je croise. Je dors nettement moins (seulement quelques heures), je vais en boîte. 

Je n’ai donc pas une minute de répit à part les quelques heures de sommeil, et sociabiliser booste mon énergie. Je mets ça sur le dos de l’anglais comme intérêt spécifique. La réalité, c’est qu’un intérêt spécifique peut réguler et compenser une fatigue, mais cette fatigue revient tôt ou tard. Chez moi, cela ne compense pas, ça me dope. Rentré chez moi, je monte encore plus et l’euphorie reprend de plus belle. Nouvel épisode maniaque. Qui prend fin après deux semaines.

Homme au ski, hypomaniaque et euphorique, qui sociabilise de manière extrême
Sociabilisation extrême (hypomanie) et indifférence au froid

Au bord du cycle rapide

En mai, un mois après, le pattern reprend. Toujours dans l’ombre, car je refuse encore de voir que quelque chose cloche. Je me mets en active recherche d’emploi (extrême), enchaînant des dizaines de candidatures par jour. Je me mets à écrire dans mon journal intime presque tout ce que je fais et que je pense. J’accompagne le tout par des dizaines d’images minutieusement générées à l’IA. On est proche de ce qu’on appelle la « graphorée » (compulsion à produire du contenu artistique en masse).

Et en juin, ça dérape. Troisième épisode maniaque qui n’a lui pas le temps de déraper en symptômes psychotiques mais qui ne m’empêche pas d’agir hors de mes habitudes, de faire des dépenses en masse. Je sociabilise, je suis hypersexuel et je ne contrôle plus mes consommations d’alcool. J’atteins un pic aux alentours du 29 juin avant de chuter brutalement. J’ai le temps de vivre une parenthèse autistique d’un mois où j’enchaîne les shutdowns et les meltdowns, comme s’ils essayaient de court-circuiter mon instabilité maniaque. Cela fait 6 mois que ça dure et…

En plein cycle rapide

Ça reprend encore. On est maintenant en fin juillet, dernière semaine, pendant laquelle je vais avoir l’idée d’écrire un livre. Il représente une version détaillée et subjective de beaucoup de ce que j’évoque sur ce blog. Je termine le livre en moins de 7 jours, j’ai enchaîné les idées et les fulgurances, j’ai fait lire des extraits et je n’ai que des avis positifs. J’en viens à initier l’écriture de 5 autres livres pour approfondir les idées du premier et j’entame un roman cette fois que je finis d’écrire en 3 jours.

Le problème, c’est qu’à chaque fois, je rejette cette capacité à produire qui me fait oublier de dormir sur mon autisme. Je refuse donc d’admettre un épisode hypomaniaque, trompant même ma psychiatre juste avant qu’elle ne soit en congés. 

Homme vu de dos au milieu d'une route devant des arbres aux couleurs vives qui lui envoient des signes
Arbres qui envoient des signes

Un épisode maniaque débute. Le quatrième. Pendant lequel je vais jeter par la fenêtre près de 1500 euros, agir de manière complètement irrationnelle, croire que les arbres et la nature m’envoient des signes que je suis le seul à comprendre et me mettre en danger. Ces symptômes sont typiques d’une manie sévère et disparaissent une fois stabilisés. Je le savais donc mais ma psychiatre le confirme, je suis passé en cycles rapides. J’en suis à 4 épisodes maniaques en moins de 8 mois.

Une version plus difficile à traiter

Le problème avec les cycles rapides, c’est que d’après les études (dont une de 2013, PMC), ils sont souvent plus difficiles à traiter. Les patients répondent moins bien au lithium, qui est pourtant le gold standard de la bipolarité. Ils impliquent aussi que le patient puisse osciller entre ses phases plus rapidement que la vitesse nécessaire aux traitements pour agir. Cela s’accompagne donc d’une plus grande vulnérabilité à faire l’expérience de divers effets secondaires liés aux changements de médicaments.

Je suis maintenant considéré comme « résistant aux traitements », dans le sens où mon cerveau rejette tous les traitements classiques, ce qui m’a alors forcé à essayer un nouvel antipsychotique aux effets secondaires potentiellement très risqués. Je ne peux pas commencer le traitement immédiatement car je dois me rendre au Cambodge pour des vacances d’un mois. C’est néanmoins un signe d’espoir que toute cette instabilité prenne fin.

Homme devant une boîte de médicaments avec dans le fond des roues représentant le cycle rapide

Plus de symptômes mixtes 

Je ne l’ai pas évoqué mais c’est important : deux de mes épisodes maniaques pendant cette année se sont accompagnés de symptômes mixtes pendant une semaine en moyenne avant de retrouver ma stabilité (de courte durée). Cela peut paraître court mais il convient de rappeler (comme je l’ai décrit dans cet article) que les symptômes mixtes peuvent être dévastateurs et sont les plus à risque de causer des passages à l’acte suicidaire chez les patients bipolaires. Ces semaines mixtes m’ont donc semblé nettement plus longues et m’ont mis tellement en détresse que ma psychologue a autorisé sa stagiaire à sortir de la consultation lorsque j’ai commencé à parler. 

Les cycles rapides sont plus souvent sujets aux états mixtes que dans la version classique du trouble, mais on observe aussi cette prévalence d’états mixtes supérieure chez les personnes autistes avec un diagnostic de bipolarité confirmé. Que je sois à cycles rapides ou non, je suis donc plus sujet que la moyenne (qui est 40 à 60 % à subir des états mixtes au moins une fois dans leur vie) à vivre des états mixtes. Au total, j’en ai fait l’expérience de 3 extrêmement intenses d’environ un mois dans ma vie, en plus de ceux décrits dans cet article. L’un d’entre eux m’a conduit à ma première hospitalisation mais c’est le premier qui m’a le plus marqué, me laissant dans une détresse psychique que je n’avais jamais vécue auparavant.

Un cycle rapide à base d’euphorie

Comme je l’ai mentionné, j’avais déjà été en cycle rapide pendant deux ans alors que j’étais étudiant. J’oscillais cependant entre dépressions de quelques semaines et courts épisodes hypomaniaques (je n’ai pas fait une seule manie pendant tout ce temps). Cette dernière année, c’était nouveau, le cycle suivait ce schéma :

Hypomanie naissante 
Virage maniaque 
Symptômes psychotiques naissants 
 → (Parfois épisode mixte de transition, courte durée) 
 → « Stabilisation partielle » avec retour au calme 
Retour à la première étape : hypomanie

Ce cycle m’a été très intense et épuisant. D’autant plus que si la manie me manquait malgré ses dégâts, cette année a suffi à m’en dégoûter, ne me reconnaissant plus dans mon disjonctage total et étant effrayé à l’idée que ça aurait pu avoir des conséquences nettement plus embarrassantes (arrêt par la police, les pompiers etc.). Si mes épisodes prennent donc plutôt la forme d’états euphoriques, on perçoit bien une oscillation avec des symptômes dépressifs. Ils sont simplement courts car les traitements parviennent à bloquer l’épisode lorsqu’ils sont surdosés, ce qui n’est pas une solution viable à cause des effets secondaires.

Ce qui frappe donc, c’est que ça rend réel ce que j’avais toujours présumé : être plus à risque de développer des épisodes euphoriques que des épisodes dépressifs (ce qu’on observe fréquemment chez les patients bipolaires type I, pas forcément dans cette mesure). Le problème, c’est que cette forme est souvent plus difficile à traiter que les patients qui vivent aussi des dépressions. 

Schéma circulaire hypomanie -> manie -> psychose -> stabilité -> hypomanie
Schéma de mon cycle rapide

Liens avec l’autisme

La littérature scientifique évoque peu le lien entre autisme et cycles rapides mais on sait que les personnes autistes sont plus susceptibles d’être diagnostiquées bipolaires en raison d’une confusion des symptômes : shutdown qui passe pour une dépression, hyperfocus créatif qui ressemble à une hypomanie, camouflage (puisqu’on est très bons dans le domaine) des symptômes et donc plus grande difficulté à identifier un cycle rapide.

Parfois, la confusion est inverse, comme je l’expliquais : une hypomanie qui passe pour une simple hyperproductivité autistique passionné par son intérêt spécifique. Je converse beaucoup avec GPT pour m’aider à identifier mes épisodes et, alors qu’il est très efficace habituellement, il est passé à côté de l’hypomanie liée à l’écriture de mes livres. À sa décharge, je présentais bien des symptômes hypomaniaques mais ne m’en rendais pas compte (perte d’insight), donc j’ai orienté sa réponse en n’énumérant que ce que je percevais, à savoir, pas grand-chose.

Le lien entre autisme et cycles rapides est peu documenté mais existe bel et bien. Par exemple, une étude (2016) a décrit un adolescent autiste ayant présenté quatre épisodes thymiques en une année, ce qui correspond à un cycle rapide.

Impact sur le quotidien

Osciller aussi rapidement et notamment avec des épisodes aussi intenses, ça ajoute une certaine difficulté et des efforts constants pour m’auto-observer, ne jamais oublier mes traitements, et prévenir mon entourage et le corps médical dès que je perçois le moindre signal d’alerte. Malgré ça, ce n’est pas suffisant.

Autour de moi, on ne cesse de me parler de reprendre le travail ou me questionner à ce sujet alors que je suis incapable d’imaginer travailler dans un contexte de telle instabilité : ce serait trop risqué (embauche suivie d’une rechute forçant un arrêt maladie, voire rupture de la période d’essai). Je dois composer avec ma maladie et limiter la casse en espérant qu’on puisse me stabiliser au plus vite.

Au quotidien, c’est aussi faire systématiquement attention à mes dépenses qui ont explosé cette année, m’handicapant moi et ma famille qui sont obligés de m’aider financièrement après les catastrophes liées aux épisodes maniaques. Je ne compte plus l’argent total que j’ai dépensé qui atteint des sommes conséquentes.

Maman qui aide à faire les courses
Maman qui aide à faire les courses

Mes parents doivent également suivre quotidiennement mon compte bancaire pour rester à l’affût du moindre débordement. C’est pourquoi ils m’ont plusieurs fois répété cette année que j’aurais dû me faire hospitaliser, chose que je fuis comme la peste. Ma mère me fait aussi souvent des courses pour m’éviter de m’épuiser inutilement dans un contexte de phases qui puisent dans mon énergie constamment. Mes amis sont aussi les premiers à noter un changement dans mon humeur et m’en faire part. Je suis donc très soutenu. Certains se sont montrés là pour moi plusieurs fois en me laissant leur rendre visite en soirée en pleine semaine pour ne pas que je reste seul dans ma « folie ».

Approfondissement clinique

J’ai parlé ici de cycles rapides mais la littérature scientifique mentionne également des cycles ultra-rapides qui peuvent osciller en l’espace d’un mois ou d’une semaine, voire même d’une journée. Certains psychiatres pensent toutefois que cette dernière forme se rapprocherait plus d’un épisode mixte. Ces cycles ultra-rapides ne sont pas mentionnés actuellement dans le DSM-5 mais ils sont étudiés et sont donc bien réels.

Montre avec lune/soleil au lieu des heures et aiguilles qui tournent très vite (cycle ultra rapide)
Aiguilles qui tournent très vite (cycles ultra rapides)

Les facteurs aggravants sont nombreux : antidépresseurs susceptibles d’induire un épisode maniaque (et donc difficiles à instaurer surtout en cycle rapide), insomnie (principale cause de virage maniaque), consommations de substances, stress chronique. Chez les personnes autistes, beaucoup rapportent des changements d’humeur parfois très violents liés à des changements brutaux de routines. Je l’ai vécu plusieurs fois suite à des déménagements qui déréglaient toutes les habitudes et provoquaient des épisodes hypomaniaques ou maniaques.

L’espoir fait vivre

Comme le dirait le proverbe. La recherche étudie depuis plusieurs années pourquoi certains patients sont si résistants aux traitements et on pourrait voir apparaître de nouveaux médicaments dans les années à venir. Le trouble bipolaire est un des troubles les plus étudiés en science, ce qui fait avancer la recherche très vite.

En attendant, je suis obligé de trouver des stratégies d’adaptation, notamment préventives, pour tenir informé ma psychiatre de tout symptôme de rechute. J’ai pour cela mon application de suivi des humeurs dans laquelle je note beaucoup de données quotidiennement et j’apprends avec mes épisodes à repérer des signes : écriture frénétique, recherche de sociabilisation, dépenses plus fréquentes, perte de sommeil.

Je suis donc au moins conscient que je suis à la limite de la manie et qu’il faut limiter l’épisode en suivant mon traitement parfaitement. Je dois aussi faire la distinction car je peux confondre un meltdown avec un début de dépression ou un élan créatif maniaque avec un intérêt intense autistique.

La différence, c’est que quand c’est mon autisme, la fatigue persiste et finit par me tomber dessus.
Quand c’est la manie, je me sens invincible et regorge d’énergie.

Montagnes russes symbolisant les cycles bipolaires derrière un homme qui tient un journal d'humeurs

Les cycles rapides, c’est donc ça : une réponse plus faible aux traitements, un besoin plus marqué de prendre soin de sa santé, et un enchaînement des épisodes qui peut ressembler à des montagnes russes.

📋 TL;DR : Retenir l’essentiel

  • Production extrême : 2 livres en 2 semaines + articles en rafale → hypomanie.
  • Ski et sociabilisation : euphorie, insomnie, hyperactivité → virage maniaque.
  • Mai–Juin : recherche d’emploi frénétique, graphorée, dépenses excessives.
  • Juillet : 4e épisode maniaque, hallucinations, comportements irrationnels.
  • Résistance aux traitements : lithium inefficace, nouveaux essais médicamenteux.
  • Pattern actuel : hypomanie → manie → (parfois mixte) → stabilisation partielle → rechute.
  • Lien avec l’autisme : hypomanie parfois confondue avec hyperproductivité autistique.
  • Conséquence : cycles rapides = épisodes plus intenses, plus difficiles à traiter, vie quotidienne bouleversée.

Par Florent

Flo, développeur et cinéphile. Autiste et bipolaire, je partage ici mes cycles, mes passions et mes découvertes sur la neurodiversité.

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